jeudi 26 juillet 2012

Boursier guinéen : tu n’es qu’un abandonné de la République



Un rêve longtemps nourri. Maintenant tu l’as obtenu, Dieu merci, tu es parmi les premiers. C’est l’euphorie tu te tapes la poitrine. Et maintenant tu espères poursuivre tes études ailleurs grâce à une bourse offerte par un pays ami de la Guinée. Tu fais vite pour être à Conakry si tu n’y es pas déjà, car on t’a dit que si tu ne fais pas vite ta bourse sera revendue, non sans vergogne.

Le début du commencement
Un beau matin (même s’il pleut à torrents et que les taxis et magbanas sont rares) tu te rends là-bas. Là-bas tout le monde y est passé ou presque, c’est un service aux couloirs exigus où chacun s’écarte pour laisser l’autre passer. Là-bas c’est aussi un grand centre d’affaires où les bourses (offertes par des pays amis) constituent un fonds de commerce. Quoi ? Tu ne crois pas ? Alors convertis-toi en un potentiel client, tu seras ébahi. Là-bas il y a toutes les gammes de bourses (Canada, Russie, USA, France, etc.), échangées contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Chut ! Secret de polichinelle.
Tu ne fais pas le distinguo entre boursier et lauréat ? Là-bas tu reçois le dernier cours de vocabulaire : «Etre lauréat ce n’est pas être boursier » dira-t-on. Cependant des non-lauréats sont boursiers au même titre que toi. D’accord c’est assimilé, tu enchaines « Monsieur mon rang a été … au bac », « Quoi ? Je peux vérifier guoy » tu lances un OK KO emprunt d’orgueil. Après vérification, si tu as la chance, monsieur t’offrira une félicitation nonchalante. Malheur à toi si ton ‘’âge est trop âgé’’. Tu repars l’esprit dubitatif en attendant la fameuse liste, qui selon eux, viendra du Maroc.
Super ! Waouh ! Tes vœux sont exaucés, ton nom est sur la liste. Car pour toi il faudra ‘’advienne que pourra’’ aller ailleurs. Partir pour s’évader, partir où tu n’entendras plus ‘’wée té fa!’’ ‘’yé mouna’’’malé mouna’’ et surtout mieux se former. Quitter ce quartier où les jeunes à longueur de journées papotent autour de la barada en inventant des histoires tous azimuts si ce n’est pour pourfendre ou défendre Barça ou Real Madrid ; où les jérémiades des opposants opposés et politicards pourrissent le climat.

Bienvenue au Royaume !
Eldorado ? A cheval entre ‘’fotéta’’ et l’Afrique subsaharienne, bienvenue au pays du soleil couchant. Ah le bleu ! Depuis trois mois tu foules le sol du royaume chérifien. On t’avait dit que le Maroc ‘’c’est ceci, c’est cela’’, t’en n’as pas cru (aussi tu n’avais pas le choix). De passage tu contemples ces belles agglomérations, ces belles architectures et encore ces belles... Toujours avec la même rengaine on te demande dans un ‘’françarabe’’ « toi mousilman , toi mousilman ; toi cè lire fatiha » parfois tu rechignes ou rétorques d’un « pourquoi et toi » en s’abstenant d’un ‘’ta gueule’’ enfin ce mec moins pieux que toi tempérera d’un mea culpa. Ce n’est pas fini khouya (frère en dialecte marocain) ! Quoiqu’étant géographiquement en Afrique; en fait il faut comprendre qu’ici seul toi et les autres blacks sont africains. Volontairement ou involontairement on te nommera africain ou sénégalais au lieu de subsaharien. Ta peau de black. Tant mieux si tu n’es pas pris à partie par une bande de goujats.

Economiste malgré toi
Ironie du sort ! Voulant faire droit, tu es orienté à la fac d’éco. Au départ tu tentes de changer, via un col blanc tutélaire, en vain ; finalement tu te contentes de ton sort comme l’atteste la formule « quand on n’a pas ce que l’on veut, il faut aimer ce que l’on a ». De toutes les façons, tu gardes le cap et persévères cahin-caha. Beaucoup ont subi ce paradoxe.

Une vie sur la paille
Tu viens de faire le change des dollars qui te restaient de ton argent de poche après avoir payé l’avance de l’appartement, acheté le matelas… Ta bourse de l’AMCI (Agence marocaine de Coopération Internationale) n’a servi qu’aux billets de train. Et puis celle-ci, tu commences à le savoir, n’est qu’une béquille autrement elle ne te suffit point mais sans elle tu ne peux te tenir. Au bout ton destin y est lié. Dans le froid de canard avec lequel te massacre un hiver différent de l’hivernage au bled, la galère te guette sans pitié. Au téléphone tu alertes les parents mais ils te répliquent par «tu sais ce que tu as laissé » (la dette pour l’achat de ton billet n’est pas encore remboursée) ; tonton en France, le répondeur joue son rôle ; ton frère aux USA te laisse « p’tit, c’est dur mais je vais voir ». Que dalle ! Tu ne verras rien. Retour sur toi-même avec quelques conseils de tes anciens, tu lésines sur tout : nombre de repas, la qualité, la quantité… même le bus tu fais gaffe, tu te tapes les trois kilomètres, à pied, pour aller à la fac. Avec un peu d’humour, tu combines : «Appel : never call, jus : never drink, snack :never go, viande : never eat… ».
Une année s’est écoulée, des saisons avec leurs intempéries, les maladies, des vicissitudes, t’en a connu plein, bien que tu restes indemne. Ta carte de séjour chez l’épicier, ton passeport chez un autre ami subsaharien, bref même toi tu es en gage. Avec la police c’est simple tu te tapis comme tes anciens. Pour le moment tu as été expulsé, des appartements, deux, trois fois ; toujours pour les mêmes motifs avec les mêmes mots « payé resté payé pa soti …famtini ? ». N’Bhoré tu n’es plus bleu ! Tu connais toutes les techniques de préparation de tokholé ; avec huile ou sans huile ; deux, un , moitié pour un repas suivant les périodes ; les casiers ornent ta piaule.
 

Grever ou crever
C’est la coutume pour recevoir son droit ici bien que l’Etat se soit engagé et que cette dépense soit prévue dans la loi des finances de chaque année. Toutes les autres nationalités, quant à elles, perçoivent régulièrement leur bourse, chaque trois mois. Hélas ! Ton pays lui, c’est au lendemain d’une grève. Raison pour laquelle si tu ne grèves, pas tu crèves... Les « si...si...si » brandis par l’ASEGUIM n’ont pas abouti ; il faut passer à l’action. Les étudiants campent à l’ambassade. Ça y est ! Les autorités ont promis maintenant le payement de tous les arriérés. Ah oui cette fois-ci tu vas te procurer de tout. Sur papier tu listes par ordre de priorité, de l’achat d’un PC à l’appel de ton prof qui t’as rodé et ton ami(e) sans oublier le remboursement des innombrables dettes.

Ah ! Cette modique somme, si et seulement si elle vient…
Deux semaines plus tard, c’est la perception. 6h du matin, avec – 6°C, sous un froid de canard, te voilà planté devant le portail de l’ambassade comme un planton ; mais tu n’auras ta bourse qu’à 6h du soir. Ne sois pas étonné tu es en Guinée. Quelle chance ! Les omissions ne te concernent pas. Quelques billets de 200 dirhams et des poussières, tu empoches sans que ta poche ne sente un corps étranger. Il t’a fallu pour mériter la modique somme une année et demie de calvaire. Tu te demandes même que faire de la bagatelle, que dis-je, comment dépenser. Direction la médina, pour t’approvisionner en tout. Primo tu te tapes un laptop puisqu’ici c’est l’outil indispensable à ta formation, quelques fringues pour ôter l’autre complet que tu ne cessais de porter tel le kaki du collège ou bleu blanc du lycée, une paire de souliers et quelques machins. C’est fini ! Ce qui te reste ne peut couvrir que le transport retour et le remboursement de ton transport aller ainsi que les autres dettes afin de récupérer tes pièces d’identité gagées. Aussi tu pourras recharger ton bayn juste pour présenter aux parents les condoléances de ton oncle décédé, et puis leur demander la baraka. Eh wotan ! le retour au cycle infernal du calvaire « de la galère à la grève, de la grève à la galère »

La Guinée, ce pays que tu t’efforces de ne pas oublier mais…
La distance entre toi et le bled s’agrandit, deux vacances sont passés sans que tu t’y rendes, faute de billet. Tu te dépayses de plus en plus, toutefois le cordon reste, grâce au wifi volé du voisin, tu te connectes pour voir les news qui sont souvent peu reluisantes. Ton ‘’ancien ancien’’ ou ‘’ancien au carré’’, lui par exemple, depuis deux ans il a fini son cycle d’ingénieur de 5 ans et cela fait sept ans donc de vie étrange à l’étranger, jusque-là il se morfond à l’attente du billet de ‘’rentrant définitif’’ de l’Etat. Pour le moment il mène une vie de clandestin sans carte de séjour, ni bourse, ni boulot, encore moins un sou. C’est grave !
Au fait, mon cher boursier, jusqu’ à quand tireras-tu le diable par la queue ?
« Pour que le mal triomphe seul suffit l’inactivité des hommes de bien » Edmond Burke

Diallo Abdoulaye Dougoun

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