lundi 25 février 2013

Kipé : Voyage dans l'univers des prostituées


Considéré comme l'un des endroits les plus chics de la capitale guinéenne, le quartier Kipé est désormais réputé pour sa forte odeur en prostitution.  Voyage dans un monde sans pudeur. 
Comme les vampires au cinéma, les professionnelles du sexe attendent la tombée de la nuit pour apparaitre sur leur plus beau jour. Elles vendent leurs corps aux plus offrants.  A la couchée du soleil, des filles/femmes prennent d'assaut la transversale 2 (T2) qui relie Kipé à Bambéto.
Aujourd'hui, elles sont nombreuses à se livrer à la prostitution. Difficile de se faire une idée sur leur nombre.  Sur le terrain, le constat est alarmant. Il suffit de marcher le long de cette route pour que votre attention soit attirée par la présence de ces créatures. On les reconnait à travers leurs accoutrements: jupettes, pantalons jeans, collants qui mouillent leurs corps. 
Pour ne pas attirer l’attention sur ce qu’elles font, ces prostituées portent des habits presque normaux pour venir à Kipé. Elles arrivent sur les lieux, sacs en main ou avec des plastiques noirs.  Ce n’est qu’une fois sur place qu’elles portent leurs tenues indécentes. Pour cela, elles choisissent les endroits les plus obscures pour se changer. Il arrive que des gardiens de bâtiments haussent souvent le ton pour demander à ces indésirables de quitter par exemple la devanture de la garderie Seydi international ou la petite agence Western union à quelques mètres de l’institut professionnel moderne (IPM). L'âge de ces prostituées varie entre 15 à 35 ans.  Cigarette en main (pas pour tout le monde),  elles s'arrêtent au bord de la grande route pour siffler les passants  dans l'espoir d'avoir des clients. A côté de ces vendeuses qui s'exhibent, il y a cependant d'autres qui préfèrent être plus discrètes. A première vue, difficile de savoir qu'elles pratiquent le plus vieux métier au monde. Elles portent très souvent des pagnes, des basins et agissent de façon un peu timide pour vendre leur chair. 
Dans notre enquête, nous avons repérés l'essentiel des différents compartiments du quartier général de ces prostituées. Quand on arrive au centre émetteur en allant vers Bambéto, à gauche, on les repère devant la garderie Seydi international, School Comnet divine, agence Western Union et à la devanture de l'IPM.  Mais le plus grand contingent campe à droite juste après l'arrêt bus. Là il y a une ruelle qui mène au siège du haut commissariat des Nations-Unies aux réfugiés (HCR). Juste devant, on rencontre quelques groupuscules de prostituées devant la boite de nuit Hakuna Matata, plus loin devant le restaurant Seven Eleven et à côté de la pharmacie Christine. Comme des chasseurs, la bande de prostituées s'adosse parfois sur des véhicules et attend les passants.
Si c'est votre première fois de passer par là, vous serez étonnés de les entendre siffler. C'est la méthode utilisée par les ''timides''. Les plus déterminées à tenter leur chance vous interpellent par ces termes: ''On peut aller jouer?, viens on va parler!'' Plus grave, du côté de la pharmacie située à quelques mètres de Seven Eleven, dans l'obscurité de Conakry, on vous lance ''Chéri, tu m'as pas reconnu? On peut aller faire l'amour? A préciser que les langues de travail, ce sont: le Pular, le Soussou, le Maninka, et dans une moindre mesure, un français approximatif.
Nous nous sommes fait passer pour des clients et nous avons côtoyé plusieurs d'entre elles. On y rencontre des grosses qui se tiennent devant Seydi international, des minces, des belles et des laides.   
Les prix diffèrent selon les vendeuses et selon la durée de l'acte sexuel. Le prix va  de 30 à 60.000 FG. Si après discussions, les deux parties s’entendent, on prend la direction d’un motel. Ils sont nombreux dans le coin et proposent des prix variés en fonction de la qualité de l’infrastructure et du confort des chambres. Une heure c’est entre 20 à 30.000FG. Mais, d’autres établissements proposent même 15.000/h.
Les plus proches sont les plus chers. C’est le cas du motel Palace. Les plus abordables sont situés à quelques mètres des lieux. Lors de nos investigations, nous avons proposés à nos interlocutrices d’aller avec elles dans les motels les plus abordables. Le niet a été catégorique. Elles posent comme condition : la présence d’une moto ou une voiture. Attention ne pensez pas que les 30 ou 60.000 c’est pour une heure comme la chambre. On parle de coup. C’est simple, la durée est fonction du retard de l’éjaculation. Le contrat prend fin dès que l’homme verse. S’il souhaite poursuivre, il va alors remettre la main dans la poche. Mais tout peut être déterminé lors des premières négociations. Vous déterminerez avec votre favorite, le nombre de coups à faire. Interpellés par l’une de ces prostituées, nous sommes allés timidement vers elle. Habillée d’une courte robe, elle entame la discussion. Le premier prix : 60.000FG. Nous  émettons aussitôt des réserves et demandons une réduction. Pour la décourager, nous sollicitons de coucher avec elle à deux. Elle accepte sans réserve. Coincés, on tente alors de se débarrasser d’elle en lui disant que nous deux ne pouvons payer que 30.000FG. Voilà qu’elle entérine l’offre avant d’ajouter : ‘’Allons au motel !’’. Nous cherchons alors à mettre un terme à l’entretien en demandant une pause pour nous permettre de réfléchir. On s’approche d’un vendeur ambulant de café. Entre temps, passe un groupe d’hommes. Elle nous abandonne et cours suivre les mecs dans l’espoir d’avoir un répondant. Peine perdue. Elle revient bredouille et commence à nous attaquer. Nous avons été suffisamment servis en insultes du genre ‘’Gnangamadi, Baré (chien)…’’. Moment de panique lorsqu’elle appelle du renfort  et menace de retirer nos téléphones. Heureusement, il n’y aura pas de renfort et notre ‘’amie’’ sera persuadée par le vendeur de café de nous laisser en paix. Elle n’a cependant pas compris le but de notre travail.
De telles scènes se passent quotidiennement dans ce secteur. Un autre jour, nous avons assistés à une altercation. Un jeune a eu le malheur de tomber dans les filets de l’une d’entre elles. Il s’est fait insulter père et mère.
Sur les raisons qui les poussent à se livrer à la prostitution, ces filles/femmes sont toutes unanimes : c’est la pauvreté qui est la cause. Elles sont à la recherche de l’argent facile. La blonde A.B, solide, bien arrêtée nous a ainsi confié qu’elle est dans ce métier depuis le temps du président Conté. Une autre, affirme avoir un fils issu d’un mariage. Mais elle a rompu avec son mari.
Des assoiffés de sexes viennent s’y abreuver. Ils arrivent dans des voitures de luxes, banalisées ou taxis. Fait surprenant pour nous, la rencontre avec KD. Mince, taille moyenne, vêtue d’un pantalon et d’un body, elle est très jeune. Nous l’interceptons juste après une négociation avec un grand monsieur qui a pris soin de garer sa grosse cylindrée devant Seven Eleven.  Pressée de rejoindre son client, elle nous demande de prendre son numéro et de la biper. Quelques temps après, elle nous bipe. Ayant déjà quitté les lieux, nous engageons une conversation avec elle. Un rendez-vous est pris pour le lendemain. KD nous dira qu’elle est élève en 10eme année dans un collège de Wanindara. Son père est commerçant. Je suis dans cette situation depuis un mois et j’ai été entrainé par une amie, déclare KD.  Elle nous a expliqué qu’elle vient à Kipé seulement lorsqu’elle manque d’argent. Elle y reste jusqu'à minuit. Aucun de ses parents ne serait au courant de son sale travail. Après lui avoir expliqué les dangers qu’elle court, KD à notre demande dit avoir accepté de renoncer à la prostitution. Espérons que la promesse sera tenue.
Excepté KD, toutes les autres nous ont révélé qu’elles sont des couturières. Nous ne savons pas si c’est un mot de passe pour l’ensemble du groupe ou si elles n’ont que la prostitution comme métier. KD est aussi la seule à nous avoir communiqué son numéro de téléphone. Les autres prétendent que leurs appareils sont en panne ou disent ‘’si tu n’es pas prêt attend une autre fois, chaque jour je suis là.’’ Dans cette cité où Satan est roi, l’une des règles c’est de ne pas suivre le client à domicile. Les prostituées ne s’éloignent pas de leur base. La raison, elles craignent pour leur sécurité. L’autre fait c’est que la plupart d’entre elles fument et consomment de l’alcool.
Notons également que lorsque les gendarmes ou policiers passent dans leurs pick-up, c’est le sauve qui peut. Pourtant, de temps à autres, on trouve un pick-up à quelques mètres de l’IPM. Lors de l’altercation que nous avons eue avec une des prostituées, elle nous a clairement dit que si elle nous dépose à la police, nous allons perdre.       
Concernant leurs recettes, certaines de ces vendeuses de sexe disent gagner entre 50.000 à 200.000 GNF.  Gérants de motels, vendeurs de café,  de cigarette et d’alcool tirent leur épingle du jeu grâce à la présence de ces prostituées à Kipé. Pour l’heure, cette pratique qui n’est pourtant pas légalisée se fait au vu et au su de tout le monde. Jusqu’à quand ? Attendons de voir.

Enquête menée par Mouctar Bourwal Bah et Mamadou Samba Sow

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